Démangeaisons - 3
Et bien sûr, un jour est arrivé où
après avoir rempli des fiches, des papiers, fait des chèques, acheté
des fournitures et - quand même - fait un peu de théorie, je me suis
retrouvé assis à la place avant-gauche d'un avion, avec pour mission de
faire tout comme si je savais piloter.
Ca s'appelle le premier vol.
Gasp !
C'était curieux comme sensation. J'étais à la fois fier, et pas fier du tout !
Fier
d'avoir mon joli casque sur la tête, les pieds sur les palonniers, les
check-lists en main, les instruments devant moi, l'instructeur à coté
(oui, quand même, je ne pouvais pas lui refuser ce plaisir, il est
sympa), et ma femme à l'arrière, munie de l'appareil photo pour
immortaliser l'instant.
Pas fier du tout, parce que j'avais le
cerveau vide, j'avais tout oublié, je ne me souvenais plus de la
différence entre la réchauffe carbu et la richesse, les ailerons et les
volets, le tangage et le roulis, les noeuds, les pieds et les
nautiques, le Nord, le Sud. Rien, rien de rien. Black out total, bouche
ouverte, stupide, à bafouiller des euhhhhh.
Après la prévol et
les checklists, j'ai démarré le moteur et j'ai tenté de rouler droit.
C'était un DR400, vous savez, avec la roulette conjuguée grâce à des
ressorts. Vous poussez, il ne se passe rien. Puis d'un seul coup, ça
part. Alors on pousse de l'autre coté, puis de l'autre coté, puis de
l'autre coté... J'en vois qui rigolent...
Après quelques
errances d'un bord à l'autre du taxiway, ma femme morte de rire à
l'arrière, et moi vert de honte en imaginant les gentils contrôleurs
pliés en quatre en regardant ce DR400 aussi gracieux au sol qu'un
pochetron bien imbibé, on est arrivé sur la zone des essais moteur.
Bien, je passe l'épisode "maintenant que le truc roule à peu près droit
va falloir l'arrêter" (non, non, le frein droit et gauche en même
temps, sinon on se met en travers).
Essai moteur OK, et l'instructeur demande l'alignement...
C'est
là qu'on réalise. C'est là qu'on se dit qu'il va falloir réveiller un
peu les neurones parce qu'il va se passer quelque chose dans pas
longtemps.
Je reprends donc mes évolutions zigzagantes pour aller me positionner au centre de la piste. Enfin, quand je dis au centre...
Mon gentil FI me réexplique ce que je dois faire :
-
je m'occupe des palonniers et des gaz, toi tu te contentes de tirer sur
le manche quand je te le dis et de garder une assiette de 5° environ,
c'est d'accord ?
- euhhhhhh ... oui !
Je ne vous explique pas
comment j'étais accroché au manche quand il a poussé les gaz. Puis je
l'ai entendu réciter la litanie de la check avant décollage, puis
"rotation !". Alors j'ai tiré. Doucement d'abord, puis franchement. Un
petit flottement et hop ! Le machin est en l'air.
Et c'est moi qui suis aux commandes.
Une
fois en l'air, il m'a fallu un certain temps quand même pour me
décontracter. Ce premier vol restera un grand moment dans mes
souvenirs. J'ai été longtemps cramponné au manche les yeux rivés sur
l'horizon et le repère pare-brise, mais peu à peu la sensation de
liberté est arrivée, et le plaisir avec. On est passé au dessus de la
maison, j'ai rien vu parce que jétais trop occupé à essayer de garder
ce p... de repère à peu près fixe. Ce qui est sûr c'est que je n'ai pas
vu passer l'heure, et une fois de retour au parking j'étais comme
sonné, ailleurs, comme quand on se réveille au milieu d'un rêve.
On
a rentré la machine, un petit coup de chiffon sur les ailes et la
verrière pour décoller les moustiques, rempli le carnet de route de
l'avion, la feuille de facturation, et... le carnet de vol.
Ma première ligne inscrite dans mon carnet de vol.
C'était une bien belle journée que ce 8 juin 2005.