Démangeaisons - 2
Et puis quelques jours plus tard, je l'ai poussée la porte, comme promis.
J'ai un peu hésité devant, quand même. Et puis, après une grande
respiration, allez, j'ouvre la petite porte en métal avec au dessus,
écrit à la peinture "Aéroclub".
Je pensais arriver dans une
espèce de salle, avec un bureau et un mec assis derrière qui me
regarderait du haut de sa chaise. La porte est lourde, et encadre une
derive blanche. La porte donne directement sur le hangar, pas de sas,
pas de bureau, juste un avion blanc, si près que je pourrais le
toucher, et un type qui passe un chiffon sur les ailes. Il me sourit,
m'invite à entrer et me demande la raison de ma visite.
Je bafouille, presque en m'excusant, que j'aimerais apprendre à piloter.
- Ah dommage, à un quart d'heure près, vous auriez pu partir avec l'instructeur.
- Partir ?
- Oui, faire un vol avec lui, pour que vous vous rendiez compte de ce que c'est...
Comment
ça me rendre compte ? Est-ce si terrible ? Peut-être que c'est
difficile, compliqué, impressionnant, fou ? Peut-être que vraiment je
ne suis pas fait pour ça...
Le gentil gars pose son chiffon et
appelle un de ses copains pour lui demander de me présenter le club. Et
pendant la demi-heure suivante, je navigue au milieu des avions, on me
présente des membres, on me parle formalité, une masse d'info
impressionnante. Puis d'un coup : "Tiens, voilà S. qui rentre. C'est le
chef pilote, c'est lui qui pourra vous donner des détail sur
l'instruction".
Et me voila propulsé sur le parking avion vers lequel roule le chef pilote et son élève.
Présentations, quelques questions pour vérifier ma motivation, puis le coup de grâce :
- Bien, j'ai un vol prévu avec un élève. Si tu veux, tu viens avec nous.
Je
bafouille un "euh, oui, volontiers". Ils vont me chercher un casque, me
présente l'élève, et avec un sourire malicieux, S. ajoute :
-
Aujourd'hui, on fait des exercices de panne. Comme vol d'initiation,
c'est un peu mouvementé, mais au moins comme ça tu verras de toi-même
si tu as vraiment envie de te lancer.
Exercice de panne. Boule dans la gorge. Heu, ils font quoi au juste ? Question inocente de l'élève :
- Il y a des sacs à bord ?
Des sacs, des sacs pourquoi faire ?
- Ben ça turbule un peu, et puis les pannes c'est un peu secouant, alors on prévoit au cas où il y aurait des malades...
J'escalade
l'aile "sur la partie noire", me glisse comme je peux à l'arrière de
DR400, boucle la ceinture, branche les fils du casque. Les deux autres
s'installent, puis tout va très vite. Verrière fermée. Les check-lists,
on roule, on laisse passer un avion qui rentre, on s'aligne, message
radio, quelques contrôles et hop, c'est parti !
L'avion danse
sur la piste en béton et d'un seul coup s'arrache du sol. Rafale de
vent, on tangue, on roule, on saute et le sol s'éloigne. J'ai les yeux
écraquillés, la piste s'éloigne, je regarde la campagne alentour,
j'écoute les pilotes discuter des exercices. Par moment S. se retourne
histoire de contrôler ma couleur et me demande si ça va.
On grimpe à trois mille pieds, et de nouveau S. me regarde :
- Bien, on va simuler des pannes. Il n'y a aucun risque, donc pas d'inquiétude, OK ?
- OK chef !
Coupure
des gaz, recherche de panne, message radio, contrôle cabine, recherche
d'un champ, virage sec et descente rapide, encadrement du champ,
aproche finale, volets.
- OK c'est bon, remise de gaz ! Ca va ? Tu n'as pas eu peur ?
Et
voila, pendant une heure on monte, on descend, on tourne. Et moi, moi
je me dis, c'est là que je dois être. Là, ici, nulle part ailleurs...
.../...
On est posé, le moteur vient d'être coupé. Je sors de l'avion un peu sonné, je suis encore là-haut. S. me regarde :
- Alors, toujours décidé ?
Mon sourire tiendra lieu de réponse.
-
Ok, allez, je te prends, j'ai un élève qui termine bientôt, ça ira. Et
puis, vu ce qu'on vient de te faire subir, si tu as toujours envie,
c'est vraiment que tu en veux.
Je me suis dirigé vers le bureau
avec lui. Il m'a donné une liste de choses à faire. Visite médicale,
bouquins, rendez-vous etc... Quand je suis reparti, j'avais le sourire.
Sourire qui a duré au moins deux heures. Ca y est, je vais voler.