Mon FI est caractériel
La séance avait pourtant bien commencé.
CAVOK, le premier de l'année pour moi, température extérieure 27° sous abris. Il est 15h, le soleil cogne dur, et en ce qui concerne la température intérieure, je ne préfère pas savoir. Je rajoute un item à la prévol :
Bouteille d'eau : A BORD
On embarque dans la cocotte minute, et je déroule les check-lists. Vu la température, on part pour la 15 gazonnée histoire de ne pas risquer de s'embourber dans le bitume en fusion. Je n'ai pas tellement l'habitude de la gazonnée, et j'apprécie moyennement le circuit dans ce sens. Aujourd'hui, ce sera circuits et PTE. Nous voila aligné avec devant nous 700 m de gazon. On décide un décollage court, pour révision. Freins appliqués, mise en puissance, et c'est parti.
Premier circuit, j'ai des difficultés pour repérer le début de la bande gazonnée. Ma vent arrière est trop proche de la piste, j'arrive trop vite, trop haut, remise des gaz.
Second circuit, mieux maîtrisé, touché au seuil de piste, vite rentrer un cran de volet et repartir. Faut pas traîner, cette fois ci je n'ai pas 2300 m de bitume devant moi pour rouler.
Troisième circuit, un basse hauteur, bien négocié jusqu'en courte mais arrondi tellement haut qu'on est parti pour toucher aux environs du parking Charlie.
C'est là qu'IL s'est énervé.
"Mais enfin, pourquoi tu arrondis si haut ? Je te l'ai dis des dizaines de fois, le point d'aboutissement, toujours au même endroit sur le pare brise. Regarde moi ça où on est parti ! Allez, remet moi les gaz et n'oublie pas qu'il y a la soute avec 20 000 litres d'AVGAS dedans droit devant !"
Je pousse la manette, corrige l'assiette, rentre un cran de volet et je regarde passer sous moi la soute d'AVGAS...
J'ai chaud et soif, mais dans un basse hauteur c'est difficile de trouver le temps et le nombre de doigts suffisants pour déboucher ma bouteille d'eau. D'autant que la fois dernière, j'ai oublié que j'avais un micro devant la bouche et me suis copieusement aspergé d'eau. En arrivant à l'aéro-club, j'avais croisé le sourire narquois d'un des membres qui en fixant ma braguette m'avait demandé si "la séance avait été impressionnante à ce point".
Donc pas boire. Finir le tour sans merder. YES ! Touché souple pile sur le seuil. Volets, puissance, on repart pour une PTE.
"Tu comptes la prendre quand ta mesure d'angle simple de plané ? Tu crois que ça rentre là ?"
Euh, non. Non, ça rentre plus. Remise des gaz.
La même, réussie cette fois, à part un petit flottement avant de toucher.
"Allez, ce sera un complet".
IL a l'air sombre. Je roule jusqu'au bout de la bande gazonnée.
"Laisse moi là, tu vas continuer tout seul..."
Je ne pensais pas que je l'avais fâché à ce point là. Le voilà qui descend.
"N'oublie pas la pompe !"
Oui, bon, je sais ! Le poste essence est en bout de piste ! Promis, je roulerais pas dessus !
Je referme la verrière, IL part à pied vers l'aéroclub. Merde, mais IL se barre vraiment ! Me voilà propre ! Mais euhhhh ! Je l'ai jamais fait moi, ça !
Je remonte la piste. J'en profite pour baisser le micro et avaler la moitié de la bouteille d'eau. Attention, pas baver, pas aujourd'hui, ça ferait pas sérieux, et je serais obligé de changer d'aéroclub pour éviter les quolibets.
Check-list alignement. Je la recommence trois fois. Euh, yaurait pas des check-lists de check-lists hein ?
C'est parti. J'évite assez facilement la soute à carburant. En passant au dessus du parking, je vois la "voiture d'intervention" (une deuche pick-up orange avec extincteurs et radio) sur le parking. IL est à coté et me regarde passer. Ah, ah, ça y est, IL regrette ! IL a peur ! IL va voir un peu !
Je boucle mon tour de piste et retrouve le terrain tout seul sans trop de difficultés. IL doit être bluffé ! Je soigne mon atterro, du propre, du beau. Là, IL regrette, c'est sûr ! IL va revenir.
Dans le casque : "Alors ? C'est comment quand tu n'as pas un casse-pied à coté de toi ?"
Vengeance : "Tu peux pas imaginer, c'est le pied !".
Merde, j'ai oublié d'appuyer sur le bouton de la radio, l'habitude de l'entendre dans l'intercom : "C'est pas mal non plus..., ça monte plus vite !"
"T'en fait un autre ?"
Si je dis non, IL va faire la gueule... "OK, c'est reparti...".
Dire qu'en plus IL m'espionnait à la radio ! Je repars pour le deuxième tour. Allez, finalement, c'est un bon bougre. Pour le rassurer et lui montrer que j'ai encore un peu besoin de lui, je remonte un peu au moment d'arrondir, je rattrape avec un petit coup de gaz, comme IL m'a montré. Je roule au parking. IL est là, qui vient vers moi. IL a un grand sourire. Moi, je suis un peu ému.
"Alors Commandant ? Ca t'a plu ?"
Lâcheur va !