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Des fourmis dans les ailes
Des fourmis dans les ailes
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30 août 2005

Pistonné

Le week-end dernier j'ai été pistonné. Je n'aime pas du tout ça, les passe droits et autres faveurs, mais pour ça je ne pouvais pas refuser. On avait rendez-vous devant la cafet' à 16h45. Je repère les pilotes qui arrivent, je me dirige vers eux et je me présente. Sourire de bienvenue, et la question qui tue :

-    Vous avez combien d'heures de vol maintenant ?
-    Euh... huit (petit sourire géné).
- Ah, ça devient intéressant. Vous commencez à avoir certains automatismes qui vous permettent de mieux profiter du vol.
-    Oui, c'est vrai...
-    Et vous volez sur quoi ?
-    Sur DR400.
-    J'en ai quelques heures à mon actif aussi (grand sourire). Le 2+2 ?
-    Oui, c'est ça...
-    Bien, nous allons préparer le vol, on se retrouve tout à l'heure ?
-    OK, comptez sur moi !

Je les regarde s'éloigner. Je dois avoir ma tête de petit garçon à ce moment là car V. a un sourire tout tendre. Et le petit garçon, il vient de discuter avec deux surhommes, deux pilotes professionnels, qui ont accepté de le prendre à leur bord en cette soirée d'été. L'adulte lui, il sait bien qu'ils sont contents aussi de montrer leur jouet à un passionné, et que ce genre de rencontre fait autant plaisir au pilote qu'au passager. Mais bon, on ne se refait pas.

Quelques temps plus tard, au milieu des vapeurs de kérosène, dans le bruit des turbines, je franchis le seuil du A318, dernier passager à monter à bord. La chef de cabine me fait signe : "Mettez vous là le temps qu'on termine l'embarquement, vous irez au poste ensuite". Je me faufile derrière elle, et assiste aux derniers préparatifs. Le chef avion qui annonce "85 passagers, embarquement terminé !" et qui se dirige vers le poste de pilotage. Il ressort, suivi du commandant de bord, qui me sourit et me fait signe d'entrer dans le saint des saints. Je franchis la porte CREW ONLY. Le captain déverrouille le siège supplémentaire, espèce de strapontin articulé et monté sur rail qui coulisse le long de la cloison et m'invite à m'asseoir : "Mettez vous là, ne verrouillez pas le siège tout de suite, il y a pas mal de passage ici avant le départ. Attrapez le casque là-bas, comme ça vous pourrez suivre la radio. En cas de nécessité, les masques à oxygène sont là, et on sort par là si on doit évacuer, OK ?".

J'acquiesce, je met le casque, j'écoute, je regarde. Echanges brefs à la radio, avec le sol, le copi. On sent une grande habitude, mais aussi une grande rigueur dans tous leurs gestes. La chef de cabine revient en annonçant "comptage passagers 85 !". "C'est bon répond le captain, on ferme et on y va !". Encore quelques échanges avec le sol puis : "OK pour le démarrage du 2". Il se retourne vers moi et me montre la manoeuvre ; sur l'écran de contrôle je suis le compteur qui indique le taux de puissance du moteur. Le démarrage est à  air comprimé, à 23 % on injecte le carburant, 160 kg à l'heure, et ça tourne. Il ajoute "au décollage c'est environ 3 tonnes à l'heure, en croisière 1200 kilos". Rapide calcul mental : 1200 kilos à l'heure, ça fait 1600 litres environ, pour 100 passagers à 800 km/h, ça fait une consommation de 2 litres au 100 par passagers. Moins qu'une mobylette.

Et un peu plus rapide surtout !

Push-back, démarrage du second moteur, et roulage. Je retrouve les essais qu'on fait nous aussi sur DR. Les freins, les instruments, les commandes sont testés. Pas d'attente au décollage, alignement dans la foulée du roulage, et décollage sans s'arrêter. Mugissement des moteurs. Passage des cent noeuds, et le mot magique : "Rotation !" aux environs de 150 noeuds (270 km/h, quand même !). Cette vitesse de folie est atteinte en à peine plus de 30 secondes. L'appareil se cabre, rentrée du train, quelques contrôles, un peu de radio, pilote automatique. Le captain se détache et se tourne vers moi : "C'est bon, c'est fini pour l'instant. On reprendra le manche en descente. C'est ça qui est un peu frustrant dans notre métier, c'est que finalement, on ne pilote plus vraiment. On surveille la machine, et on intervient si nécessaire". Le copilote reste face aux instruments et dis parfois quelques mots à la radio. De temps en temps il tend le bras, pousse un bouton, contrôle une vue sur les écrans LCD. "Heureusement, il reste la beauté du métier. C'est vraiment le plus beau bureau du monde". Je regarde à l'extérieur. Nous sommes aux environs de 9 000 mètres d'altitude, il y a une légère brume qui masque le sol. Des bancs de nuage, comme des couvertures de coton hydrophile sont éparpillés ça et là. C'est beau, qu'est ce que c'est beau !

La croisière est courte, nous n'allons pas loin. Pendant ces quelques minutes, le commandant de bord me montre quelques instruments, quelques organes de sécurité, les circuits triplées. Tout est fait pour que la sécurité soit maximale. Très pédagogue, il m'explique les systèmes, les modes de fonctionnement. Je n'ai pas assez d'yeux ni d'oreilles. Puis vient le moment de la descente, et de l'atterrissage. Superbe plan de descente, freinage hyper puissant, taxiway, parking. Pendant l'escale, je reste à bord. Encore un privilège. Ménage, carburant etc... Embarquement des passagers pour le retour, je retourne sur mon strapontin, et de nouveau assiste aux préparatifs, au roulage, au décollage.

Dans l'axe de la piste, une couche nuageuse. Nous avons décollé quelques minutes auparavant et franchissons 9000 pieds. "Ca va être magnifique ça... On va commencer le virage juste en entrant dans les nuages..." L'avion commence à pencher vers la gauche, nous entrons dans la ouate nuageuse alors que l'appareil continue à s'incliner. Pendant quelques secondes nous ne voyons rien. Je regarde l'horizon artificiel qui pivote doucement sur la gauche, et nous émergeons de la couche. Par le pare brise, tous les trois, nous regardons le spectacle magnifique qui s'offre à nous.

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Le voyage de retour se déroule comme l'aller. Le soleil se couche derrière nous, notre arrivée se fera au crépuscule. Une fois au sol, le captain me dit : "Si je dois vous donner un conseil, ce sera celui là : prenez du plaisir à piloter, mais n'hésitez jamais à faire demi-tour, ou à renoncer à partir, que ce soit à cause de la météo, de l'état de l'avion, ou même si vous êtes simplement fatigué. Un bon pilote est un pilote vivant". Nous nous serrons la main, et il s'éloigne dans son uniforme bleu nuit, avec ses quatre galons dorés, sa casquette et sa valise.

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